Syndicalisme et Management

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Auteur :
  • Sophia Capdevielle
2024-2025

Ce MON a pour objectif d’explorer les liens entre le syndicalisme et le management moderne, en retraçant d’abord l’histoire des luttes sociales et des syndicats, puis en analysant les effets des nouvelles méthodes de gestion sur le travail et les collectifs. Enfin, nous examinerons les pistes d’adaptation pour un syndicalisme renouvelé, capable de répondre aux défis du XXIe siècle.

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Introduction

Les congés payés, la retraite, les congés maternité, la réduction du temps de travail… Autant de droits acquis de haute lutte, grâce aux actions organisées des syndicats. Les organisations syndicales jouent un rôle fondamental pour le respect du droit au travail, notamment le droit à des conditions de travail justes et favorables [1].

Les syndicats sont les seuls groupements autorisés à négocier les conventions collectives, qui sont déterminantes pour le cadre de travail de chacun.e. En cas de conflit avec l’employeur, les syndicats aident à défendre les intérêts collectifs des salariés auprès de la direction et peuvent engager toutes sortes d’actions de protestation (grèves, manifestations, pétitions...). Dans les cas de conflits individuels, ils peuvent accompagner les salariés à des entretiens, défendre leurs intérêts auprès des instances, et même les soutenir en cas de litiges débouchant sur une procédure judiciaire. Par ailleurs, depuis 2007, les syndicats doivent être systématiquement consultés par le gouvernement lors de l'élaboration de projets de loi en matière de relations salariales, d'emploi ou de formation professionnelle. Ils peuvent ainsi négocier et améliorer la protection des droits des travailleurs dans les lois en préparation [1]. On retrouve plusieurs organisations syndicales en France, parmi les plus connues, on retrouve la CGT, la CFDT, Force Ouvrière,…

Les syndicats jouent donc un rôle clé dans l’organisation du travail et la défense des droits des travailleurs en France. Pourtant, aujourd’hui, le syndicalisme semble traverser une crise profonde. Alors que le monde du travail ne cesse d’évoluer sous l’effet de la mondialisation, de la numérisation et des nouvelles méthodes de management, les syndicats peinent à maintenir leur influence et leur légitimité. En France, le taux de syndicalisation est l’un des plus faibles des pays industrialisés, avec moins de 10 % des salariés affiliés à une organisation syndicale [2]. Si l’on regarde les rapports de la CGT, en 2021 ils comptaient environ 600 000 adhérents contre 1,5 million dans les années 1970. En effet, selon la DARES, entre 2003 et 2019, le nombre de syndiqués a diminué de 15 %, malgré une augmentation du nombre total de salariés [3].

Comment expliquer ce déclin, et surtout, comment le syndicalisme peut-il se réinventer pour rester pertinent dans un contexte marqué par l’individualisation du travail, la précarisation et l’essor de nouveaux modèles de gestion?

Histoire des luttes sociales et du syndicalisme

Naissance du syndicalisme et première grandes luttes

Le syndicalisme moderne émerge au XIXe siècle, en réponse à l’industrialisation massive et à l’exploitation des travailleurs. Dans un contexte marqué par des conditions de travail extrêmement difficiles (journées de 12 à 14 heures, salaires de misère, absence de protection sociale), les ouvriers commencent à s’organiser pour défendre leurs droits. Les premières formes de syndicalisme se structurent autour de l’idée de solidarité collective, avec pour objectif de lutter contre l’arbitraire patronal et d’améliorer les conditions de vie et de travail [5].

En France, la loi Waldeck-Rousseau de 1884 légalise les syndicats, marquant un tournant dans l’histoire sociale du pays. Les grandes centrales syndicales, comme la CGT, fondée en 1895, deviennent des acteurs majeurs de la vie économique et sociale. Les luttes syndicales du début du XXe siècle aboutissent à des avancées significatives, telles que la journée de 8 heures (1919) ou les congés payés (1936). Ces conquêtes sociales sont le fruit d’un rapport de force souvent violent, marqué par des grèves massives et une répression parfois sanglante [6].

Comme le soulignent Dominique Andolfatto et Dominique Labbé dans Sociologie des syndicats, « le syndicalisme est un rouage essentiel de la vie économique et sociale moderne ». Pourtant, son rôle est souvent réduit à une simple protestation, alors qu’il a contribué à structurer les relations sociales et à humaniser le monde du travail [7].

Le taylorisme et le fordisme : opposition syndicale aux modèles productivistes

Au début du XXe siècle, l’essor du taylorisme et du fordisme transforme en profondeur l’organisation du travail. Ces modèles, fondés sur la division des tâches, la standardisation et la recherche d’une productivité maximale, sont perçus par les syndicats comme une menace pour les travailleurs. En effet, ils entraînent une déshumanisation du travail, où l’ouvrier est réduit à une simple force de travail interchangeable.

Les syndicats s’opposent fermement à ces méthodes, dénonçant l’aliénation des travailleurs et la dégradation de leurs conditions de vie. Je vous renvoie vers mon MON 2.2 sur l’auto-organisation et l’anarchie où je traite des côtés négatifs de ces nouvelles organisations du travail qui empêchent en réalité les travailleurs de s’auto-organiser et d’avoir du pouvoir sur leur travail. Les grèves des années 1930 et 1940, notamment dans l’automobile et la métallurgie, témoignent de cette résistance. Les syndicats revendiquent non seulement de meilleurs salaires, mais aussi une reconnaissance de la dignité des travailleurs et une participation à l’organisation du travail.

Michel Dreyfus, dans son ouvrage Histoire de la CGT (1895-1995), rappelle que ces luttes ont permis de poser les bases d’un dialogue social et d’obtenir des avancées majeures, comme la création des comités d’entreprise en 1945. Cependant, l’opposition entre syndicats et patrons reste vive, et les tensions se cristallisent autour de la question de la modernisation de l’économie [8].

Impact de la mondialisation et de l’essor du travail immatériel

À partir des années 1970, la mondialisation et la tertiarisation de l’économie bouleversent le paysage syndical. Les délocalisations, la désindustrialisation et la montée en puissance du secteur des services modifient en profondeur les structures du travail. Les bastions traditionnels du syndicalisme, comme la sidérurgie, les mines ou l’automobile, voient leurs effectifs diminuer, entraînant une baisse du nombre de syndiqués [9].

Dans le même temps, l’essor du travail immatériel (informatique, communication, services) pose de nouveaux défis aux syndicats. Les travailleurs de ces secteurs, souvent jeunes et précaires, sont moins enclins à se syndiquer, en raison d’une culture professionnelle individualiste et d’une méfiance vis-à-vis des structures traditionnelles. Comme le notent Andolfatto et Labbé, « les transformations dans l’appareil productif ont eu des conséquences négatives sur le syndicalisme, notamment dans les secteurs où il était historiquement implanté » [7].

Cette évolution soulève une question cruciale : comment le syndicalisme peut-il s’adapter à un monde du travail où les usines et les grands collectifs ouvriers cèdent la place à des emplois fragmentés et individualisés?

L’histoire du syndicalisme montre que celui-ci a toujours su s’adapter aux transformations du monde du travail, en défendant les intérêts des salariés face aux modèles productivistes et aux mutations économiques. Cependant, les défis posés par le management moderne, marqué par l’individualisation et la précarisation, sont d’une nature nouvelle. C’est ce que nous allons explorer dans la partie suivante, en analysant les effets des nouvelles méthodes de gestion sur le travail et les collectifs.

Le management moderne et ses effets sur le travail

Les nouvelles méthodes de gestion : Lean, management agile, auto-organisation

Le management moderne se caractérise par l’adoption de méthodes visant à optimiser la productivité et à s’adapter rapidement aux changements du marché. Parmi ces méthodes, le Lean management, inspiré du système de production de Toyota, prône l’élimination des gaspillages et la maximisation de la valeur ajoutée. Le management agile, quant à lui, met l’accent sur la flexibilité, la collaboration et l’adaptabilité, souvent dans des environnements de travail fragmentés et en constante évolution. Enfin, l’auto-organisation encourage les travailleurs à prendre des initiatives et à gérer eux-mêmes leurs tâches, sans supervision hiérarchique stricte.

Si ces méthodes peuvent améliorer l’efficacité des entreprises, elles ont aussi des effets pervers sur les conditions de travail. Le Lean management, par exemple, est souvent critiqué pour son intensification du travail et sa pression constante sur les employés. Les indicateurs de performance (KPI) et les objectifs chiffrés peuvent générer un stress chronique, voire des risques psychosociaux. Comme le soulignent plusieurs études, ces méthodes tendent à individualiser le travail, en responsabilisant chaque salarié pour atteindre des objectifs souvent irréalistes [10].

Individualisation du travail et affaiblissement des collectifs

L’une des conséquences majeures du management moderne est l’individualisation du travail. Les salariés sont de plus en plus évalués sur leurs performances individuelles, ce qui fragilise les solidarités collectives. Dans un contexte où chacun est incité à se distinguer pour progresser dans sa carrière, la coopération et l’entraide tendent à s’effacer au profit d’une logique de compétition.

Cette individualisation est renforcée par les nouvelles formes d’emploi, comme le travail indépendant, les contrats courts ou le télétravail. Les travailleurs précaires, souvent isolés, ont moins de possibilités de se syndiquer ou de participer à des actions collectives. Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, dans Sociologie des syndicats, soulignent que « l’individualisme des institutions juridiques et des mœurs » constitue un obstacle majeur à l’action collective [7].

En outre, les collectifs de travail traditionnels, comme les équipes en usine, sont remplacés par des structures plus flexibles et éclatées. Les travailleurs des plateformes numériques (Uber, Deliveroo) ou des centres d’appels, par exemple, sont souvent isolés et privés des espaces de sociabilité qui favorisaient autrefois la syndicalisation.

Précarisation et nouvelles formes de domination

Le management moderne s’accompagne également d’une précarisation croissante du travail. Les contrats à durée indéterminée (CDI) sont de plus en plus remplacés par des contrats courts, des stages ou des emplois précaires. Cette précarité rend les travailleurs plus vulnérables aux pressions managériales et moins enclins à s’engager dans des luttes collectives.

Par ailleurs, les nouvelles technologies introduisent des formes de domination inédites. La surveillance numérique, par exemple, permet aux employeurs de contrôler en temps réel l’activité des salariés, que ce soit par le biais de logiciels de tracking ou de caméras de surveillance. Les indicateurs de performance (KPI) et les systèmes d’évaluation individualisés renforcent cette pression, en imposant des objectifs souvent inatteignables.

Ces nouvelles formes de domination posent un défi majeur au syndicalisme. Comment défendre les droits des travailleurs dans un contexte où les relations de travail sont de plus en plus individualisées et où les outils de contrôle sont omniprésents ? [11]

Le management moderne, avec ses méthodes de gestion individualisantes et ses outils de contrôle, a profondément transformé le monde du travail. Face à ces évolutions, le syndicalisme doit se réinventer pour rester pertinent et défendre les intérêts des travailleurs. C’est ce que nous allons explorer dans la partie suivante, en examinant les pistes d’adaptation du syndicalisme et les nouvelles formes de lutte.

Adaptation du syndicalisme et de la lutte

Les défis actuels du syndicalisme

Selon un sondage IFOP (2020), 62 % des Français estiment que les syndicats ne les représentent pas bien [12]. Comme le soulignent Dominique Andolfatto et Dominique Labbé dans Sociologie des syndicats, « les syndicats éprouvent des difficultés à réagir aux évolutions de l’économie et de la société ». Les jeunes, les femmes et les travailleurs du secteur privé sont particulièrement sous-représentés dans les rangs syndicaux. Pour inverser cette tendance, le syndicalisme doit se réinventer en s’adaptant aux nouvelles réalités du monde du travail [7].

Les nouvelles formes de lutte

Face à ces défis, le syndicalisme explore de nouvelles formes de lutte et de mobilisation. Les grèves dans les secteurs du numérique (Google, Amazon) ou des plateformes (Uber, Deliveroo) montrent que les travailleurs précaires et les jeunes générations sont capables de s’organiser, même en dehors des structures syndicales traditionnelles. Ces mouvements, souvent spontanés et décentralisés, s’appuient sur les réseaux sociaux et les outils numériques pour mobiliser et coordonner les actions.

Jean-Bernard Gervais, dans Au Royaume de la CGT, insiste sur l’importance des mouvements de masse pour faire avancer les revendications sociales. Les grandes grèves, comme celles contre la réforme des retraites en 2019-2020, montrent que le syndicalisme conserve une capacité de mobilisation importante. Cependant, ces mouvements doivent être accompagnés d’un travail de terrain pour renouer le lien avec les travailleurs et répondre à leurs préoccupations concrètes. [13]

Pistes pour renouveler le syndicalisme

Pour regagner en influence, le syndicalisme doit s’adapter aux attentes des nouvelles générations et aux réalités du travail moderne. Plusieurs pistes peuvent être explorées :

  1. Adapter le discours : Les syndicats doivent intégrer des enjeux contemporains, comme l’écologie, le bien-être au travail ou l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ces thématiques résonnent particulièrement auprès des jeunes travailleurs.
  2. Renforcer la présence dans les PME et les start-up : Alors que les syndicats sont traditionnellement implantés dans les grandes entreprises, ils doivent étendre leur action aux petites et moyennes entreprises.
  3. Utiliser les outils numériques : Les réseaux sociaux et les plateformes en ligne peuvent servir à mobiliser, informer et organiser les travailleurs, notamment dans les secteurs où la syndicalisation est faible.
  4. Favoriser l’inclusion : Les syndicats doivent mieux représenter les femmes, les jeunes et les travailleurs précaires, en adaptant leurs structures et leurs modes de fonctionnement.

Jean-Christophe Le Duigou, dans Demain, quelle CGT ?, souligne que « le syndicalisme doit se réinventer pour rester un acteur clé de la transformation sociale ». Cela passe par une meilleure écoute des travailleurs et une adaptation aux réalités économiques et sociales actuelles.

Conclusion

Le syndicalisme a joué un rôle central dans l’amélioration des conditions de travail et la conquête de droits sociaux fondamentaux. Cependant, face aux transformations du monde du travail – marquées par l’individualisation, la précarisation et l’essor de nouvelles méthodes de management –, il traverse une crise profonde. Le déclin de la syndicalisation, notamment chez les jeunes et les travailleurs précaires, montre que les structures traditionnelles doivent se réinventer pour rester pertinentes.

Les nouvelles formes de lutte, comme les grèves dans le secteur du numérique ou les mobilisations sur les réseaux sociaux, montrent que les travailleurs sont toujours capables de se mobiliser pour défendre leurs droits. Cependant, pour regagner en influence, le syndicalisme doit s’adapter aux réalités du travail moderne, en intégrant de nouvelles thématiques (écologie, bien-être au travail) et en renforçant sa présence dans les secteurs où la précarité est la plus forte.

En définitive, l’avenir du syndicalisme dépendra de sa capacité à renouer le dialogue avec les travailleurs, à s’adapter aux mutations économiques et sociales, et à incarner un projet collectif capable de répondre aux défis du XXIe siècle. Comme l’écrit Jean-Christophe Le Duigou, « le syndicalisme n’a pas dit son dernier mot ». Reste à savoir s’il saura se réinventer pour continuer à jouer son rôle historique de défenseur des droits des travailleurs.

Bibliographie

[1] Amnesty International France, Le rôle des syndicats dans la défense des droits des travailleurs, 2021.

[2] Ministère du Travail

[3] OCDE, Statistiques sur les syndicats (2021)

[4] DARES, La syndicalisation en France, 2020.

[5] Jean-Christophe Le Duigou, Demain, quelle CGT ?, 2019.

[6] Gilbert Wasserman, À propos du syndicalisme, 2020.

[7] Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, Sociologie des syndicats, 2020.

[8] Michel Dreyfus, Histoire de la CGT (1895-1995), 1995.

[9] DARES, La syndicalisation par catégorie socioprofessionnelle, 2021.

[10] Jean-Christophe Le DuigouLe syndicalisme face aux défis du XXIe siècle, 2020.

[11] Gilbert WassermanLes nouvelles formes de lutte syndicale, 2020.

[12] IFOP, Les Français et les syndicats (2020).

[13] Jean-Bernard Gervais, Au Royaume de la CGT, 2018.